bibliothèque de la Shaasm,
été 2010,

Lors d’une précédente permanence du mardi après-midi, après avoir feuilleté les plus vieux ouvrages de notre bibliothèque, j’avais attiré l’attention d’Annick Magon, Vice-Présidente de notre société et passionnée de l’histoire de la « Royale » (c’est elle qui a donné la remarquable conférence du 19 octobre 2009 : « Trafalgar, chronique d’une défaite annoncée ») sur ces vénérables volumes dont les éditions sont datées de 1779 :

L'Espion Anglois

En effet, on y trouve entre autres, à la fin du tome III (un volume comprend les tomes I et II et l’autre, les tomes III et IV) un état détaillé des bâtiments de la marine française en l’an 1771.

Mais, outre le fait qu’aucun auteur ne soit mentionné, le titre et l’introduction de cet ouvrage peuvent laisser songeur :

L'Espion Anglois page de titre

L'Espion Anglois introduction

De quoi s’agit-il donc?
Voici le résultat à ce jour de quelques recherches effectuées sur internet (merci google, amazon.fr, chapitre.com et wikipedia.fr!) :

Il s’agit d’une pseudo-correspondance, forme adoptée fréquemment au XVIIIe par les pamphlétaires de tout poil, permettant une grande liberté mais aussi efficacité dans l’expression d’idées et surtout de critiques.

Les quatre tomes dont nous disposons ne sont que le début -plusieurs fois remanié (« nouvelle édition revue, corrigée & considérablement augmentée« ) – d’un ensemble de pas moins de 12 tomes publiés et republiés de 1777 à 1785.

Mais qui en est donc l’auteur? : c’est un certain Mathieu-François Pidansat de Mairobert, dont wikipedia nous donne la description suivante :

Mathieu-François Pidansat de Mairobert, né le 20 février 1707 à Chaource et mort le 27 mars 1779 à Paris, est un littérateur polygraphe [autrement dit « touche-à-tout », comme beaucoup des intellectuels du siècle dit des lumières] français.

Élevé chez Marie Anne Doublet de Persan, dont il prétendait être le fils, il se trouve mêlé, de bonne heure, aux conversations et aux querelles du monde des lettres. Proche du « parti patriote », surveillé par la police, il est lié à Restif de la Bretonne. Il occupe une place de censeur royal et le titre de secrétaire du roi et des commandements du duc de Chartres.

Il est en 1779 compromis dans le procès du marquis de Brunoy, dont il se trouvait le créancier pour une somme considérable. Bien qu’en cette affaire, selon l’opinion générale, il ne soit que le prête-nom d’un plus haut personnage, le Parlement de Paris lui inflige un blâme public par arrêt du 27 mars 1779. Se croyant déshonoré, Mairobert va le soir même chez un baigneur où il s’ouvre dans le bain les veines avec un rasoir, puis achève de s’ôter la vie d’un coup de pistolet. Le curé de Saint-Eustache n’a consenti à l’inhumer qu’après ordre exprès du roi.

Restif de la Bretonne l’a pleuré amèremement, et allait tous les ans, à l’anniversaire de son suicide, revoir sa maison pour commémorer la date.

Œuvres :
Il a publié plusieurs écrits relatifs à des événements politiques ou littéraires, notamment :
– la Querelle de M.M. de Voltaire et de Maupertuis (1753)
– Correspondance secrète, et familière du chancelier de Maupeou avec Sorhouet (1771, in-12), pamphlet radical qui fut réimprimé sous le titre de Maupeouana (1773, 2 vol. in-12)
– Principes sur la Marine, (manuscrit in-8°, 1775).
[ici un lien vers un site remarquable qui donne accès à l’intégralité de ce texte d’analyse exhaustive de la Royale à cette époque]
– Anecdotes sur la comtesse du Barry (Londres, 1776, in-12), une des meilleures ventes de la fin du XVIIIe siècle, attribuée à Théveneau de Morande.
– L’Observateur anglais (Londres [Amsterdam], 1777-1778, 4. vol. in-12), plusieurs fois réimprimé sous le titre de l’Espion anglais.
– Lettres de Mme du Barry (Londres, 1779, in-12).
– Il eut également part, jusqu’à sa mort, aux volumes des Mémoires secrets attribués traditionnellement à Bachaumont dont il fut le secrétaire.
[wikipedia ne semble pas connaître l’existence des tomes V à XII: cf ici une note sur les différentes éditions identifiées sur divers sites internet et sur leur transcription en format électronique]

Voici donc un gentilhomme singulièrement bien introduit dans les cercles d’influence et dans les salons où l’on échange des propos subversifs et – il n’est pas ami de Restif de la Bretonne sans raison – anticléricaux et licencieux : plusieurs « lettres » dans les volumes présents dans notre bibliothèque sont consacrées à des histoires de courtisanes (devise de la lettre XXIV : « la vérole, ô mon Dieu, m’a criblé jusqu’aux os »), de curé malade de son extrème continence, ou alors se livrant aux pires débauches….

Mairobert fait une  analyste socio-politique typique -jusqu’à la caricature – des critiques des intellectuels français de la fin du XVIIIe siècle, ceux  qui vont diffuser les idées révolutionnaires jusqu’à ce que la révolution les rattrappe, les dépasse et finisse par les guillotiner.

C’est par ailleurs un bon connaisseur des affaires européennes (il a beaucoup de contacts à Londres où il se fait éditer) et surtout (pour nous, à la Shaasm!) un expert pour tout ce qui touche à la marine royale de cette époque (il a été un temps secrétaire de la Marine).

Pour en témoigner, vous trouverez :….
ici un lien vers la liste des lettres contenues dans les 4 premiers tomes constituant les deux volumes présents à la bibliothèque de la Shaasm, en attendant la liste de toutes les autres ayant pu être identifiées dans les diverses numérisations des tomes suivants trouvées sur les sites visités (en particulier celles de « google livres »)…..).

et ici un lien vers la transcription effectuée par Annick Magon (avec contribution du webmaster) de la lettre XLI intitulée « Projets & préparatifs d’armemens en France. Etat de sa marine. Portraits de ses principaux officiers en cette partie ».

Résumons-nous : ces volumes décrivent, semaine après semaine, les opinions et les critiques d’un personnage sinon célèbre, du moins en vue dans son milieu, sur des sujets fort variés : il y décrit des scènes cocasses, remarquables ou coquines, il exprime son avis tout, tous et toutes, sur la cour, les ministres, les grands, les institutions, les relations internationales, les commerces, les marines, les guerres et les paix; il honore quelques personnages et surtout en accable beaucoup de critiques et de sarcasmes, n’hésitant pas à colporter toutes les médisances et les ragots ramassés dans les salons. Et il déploie beaucoup d’énergie et parfois de talent pour rédiger avec régularité ces « lettres » et pour les diffuser le plus largement possible mais de façon prudemment anonyme :

Ne cherchez plus, Mathieu-François Pidansat de Mairobert n’est simplement qu’un authentique blogueur du XVIIIe siècle!!!